Thème du congrès

Thème du congrès 2024 :

Imaginer, expérimenter et pérenniser la soutenabilité forte.

Quelles institutions en Europe et au-delà ?

 

Dans la continuité des éditions précédentes et en particulier de sa 14ème édition centrée sur les territoires de la soutenabilité et de sa 18ème édition sur l’impératif de changement profond et rapide de nos économies, ce 19ème Congrès du RIODD invite à replacer dans leur contexte les organisations, leurs capacités d’action et leurs agirs. Il s’agit ainsi de les penser comme ouvertes sur une pluralité d’acteurs, d’enjeux et de « règles de jeu ».

 

Une transition socio-écologique réellement transformatrice devra être explicitement orientée vers une soutenabilité forte, c’est-à-dire respectant les limites de la biosphère et son caractère fragile et irremplaçable, et reconnaissant les limites en termes de faisabilité et de désirabilité de la croissance matérielle des métabolismes sociaux. Prises dans une pluralité d’acteurs, d’enjeux et de « règles de jeu », les organisations sont sommées de prendre part à un avenir soutenable. Mais elles continuent à subir nombre d’injonctions contraires (qu’elles contribuent parfois à relayer), de l’impératif de viabilité financière en situation de concurrence effrénée à la multiplicité des impératifs de croissance (des ventes, des profits, des dividendes, des parts de marché…) qui les poussent à vouloir « toujours plus ».

 

On peut se réjouir que par leurs actions en faveur du respect du vivant et des équilibres planétaires, certaines organisations s’inscrivent déjà dans une démarche « forte » d’épanouissement humain respectueux des limites de la planète. Mais les enjeux contemporains sont d’une gravité et d’une urgence telles que ces actions ne sauraient révéler leur plein potentiel transformateur sans une adhésion massive des consommateurs-citoyens et sans un appui résolu des institutions sous toutes leurs formes pour produire des effets à l’échelle des systèmes économiques. Nous entendons ici par institutions, dans un sens large, toutes les structures sociales et tous les collectifs présentant une certaine stabilité et pérennité et qui ont le pouvoir d’habiliter et de contraindre les actions, celles des organisations comme celles des individus. C’est certainement tout le milieu institutionnel dans lequel se déploient les organisations qui doit les aider à imaginer, expérimenter et pérenniser les initiatives porteuses de mutations désirables. Parallèlement, ces organisations ont aussi le pouvoir d’instituer des pratiques et des normes, de leur conférer stabilité et pérennité et de les rendre attractives pour le plus grand nombre. De même que certaines d’entre elles ont été capables de façonner des régulations ou de propager des récits écologiques à leur avantage et au détriment d’ambitions sociales et écologiques fortes (conceptions techno-centrées et incrémentales de l’action climatique, mécanismes de « flexibilité » dans les politiques environnementales de taxation ou de création de marchés, caractère volontaire des actions et du reporting relatifs à la soutenabilité, financement de « semeurs de doute »…), on peut attendre d’elles qu’elles contribuent désormais à solidifier et ancrer dans le paysage des standards d’action bien plus exigeants. Parmi les entreprises de la Wellbeing Economy Alliance et de la Green Economy Coalition à travers le monde, ou encore celles de la Communauté des entreprises à mission en France ou de la Coalition Kaya en Belgique, et sans oublier la galaxie de l’économie sociale et solidaire, on trouve quelques exemples de dynamiques collectives qui pourraient contribuer à façonner de nouvelles institutions pour des économies plus fortement soutenables. C’est donc tout un processus instituant multidirectionnel et multi-échelles qui doit tendre vers la généralisation et la pérennisation de pratiques soutenables, processus qui comprend des essais et erreurs entrepreneuriaux, des soutiens multiformes de la part des pouvoirs publics, des incitations et régulations, mais aussi des dynamiques collectives citoyennes ou entrepreneuriales s’appuyant sur des communs. Autant de voies vers l’imagination, l’expérimentation et la pérennisation de pratiques circulaires, sobres, régénératives et distributives (Raworth, 2017) tissant des reconnexions avec la nature, et orientées par d’autres motifs que la performance financière étroite tirée par une croissance économique sans freins.

 

Dans ce contexte, l’Europe fait face à des défis spécifiques. Continent pionnier des révolutions industrielles, de la colonisation et du développement de sciences et techniques (que d’autres civilisations ont contribué à façonner) rendant possible l’exploitation intensive de la biosphère, elle est investie d’une responsabilité particulière dans la lutte contre les dérèglements sociaux, environnementaux et économiques de notre temps. Contrainte de mettre un terme à toute une série de productions polluantes, s’y pose avec acuité la question de la « transition juste », de la reconversion de pans entiers de son industrie et de l’accompagnement équitable des secteurs qui seront bientôt « échoués » ou « exnovés »[1]. Dans cette quête de nouveaux modèles économiques et d’institutions favorisant l’épanouissement humain dans le respect des équilibres biosphériques, l’Europe a certainement des cartes à jouer. L’Union européenne s’est engagée à la neutralité climatique à l’horizon 2050, objectif auquel le « Pacte Vert » et la récente directive sur le reporting de soutenabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive) visent à contribuer. Au-delà de l’effort de production normative à l’échelle de l’Union, l’Europe est une mosaïque humaine et organisationnelle déjà porteuse de germes de mutation à travers ses coopératives sociales, ses entreprises engagées, son tiers secteur ou ses pionnières des technologies « vertes » ou de la low tech. La soutenabilité forte et la contribution à une économie post-croissance qui donne la priorité à la satisfaction des besoins humains et sociaux au sein des limites planétaires sont donc des défis plus que jamais brûlants pour le continent européen, ses institutions et ses organisations.  Ces enjeux ne se cantonnent toutefois pas, loin de là, aux limites de l’Europe. Et concevoir des organisations authentiquement soutenables (Yi et al., 2022) et post-croissance (Hinton et Maclurcan, 2017) implique d’intégrer aux raisonnements et aux actions les répercussions des pratiques de production et de consommation tout au long des chaînes de production et par-delà les frontières nationales. En outre, l’Europe a probablement beaucoup à apprendre de dynamiques qui prennent place au-delà de ses frontières, dans le Sud global notamment à travers les manières de résister et de proposer des alternatives à l’avancée de pratiques extractivistes[2].



[1] https://exnovation.brussels/

[2] http://www.envjustice.org/ejatlas/

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