Sessions thématiques ouvertes > Comprendre les apports et limites de l’ESS à la transformation du capitalisme vers un modèle économique « ré-encastré » socialement et écologiquement

Contact pour soumission de communication

Jean-Pierre Chanteau : jean-pierre.chanteau@univ-grenoble-alpes.fr

Xavier Itçaina : x.itcaina@sciencespobordeaux.fr

Nadine Richez-Battesti : nadine.richez-battesti@univ-amu.fr

 

Cadrage et objectif de la session

 

Le capitalisme a prospéré sur une culture de l’accumulation de capital et de pouvoir individuel, soutenant la recherche constante d’une croissance de la production et l’industrialisation croissante des procédés de fabrication, y compris dans les secteurs primaire et tertiaire. Les dégâts sociaux et environnementaux en sont bien connus, même si une partie des gains de productivité du travail ainsi réalisés a pu être convertie en gains de bien-être matériel pour les ménages grâce à l’action de contre-pouvoirs publics ou syndicaux. Mais leurs capacités d’action sont de plus en plus mises en difficulté pour des raisons idéologiques, sociétales et financières. Dans ce paysage, quelle place pour l’ESS, que certains présentent comme l’alternative ou au contraire comme une exception marginale, quel rôle peut-elle jouer ?

 

L’ambition de cette session est de mieux documenter cette question et d’améliorer la grille d’analyse pour ne pas surestimer ni sous-estimer son potentiel de transformation sociale en faveur d’une « transition écologique juste » [OIT : 2016], sa capacité à perturber voire rompre avec le modèle capitaliste de l’entreprise et à se renouveler elle-même – sauf à croire que l’ESS est parfaite ou immuable.

 

Cette ambition appelle assurément un travail pluridisciplinaire. Par exemple, il est possible de contribuer à cette session par une démarche d’historien, pour interroger le récit d’une permanence de l’ESS à travers l’histoire en même temps que la permanence de son hétérogénéité, quelle que soit la forme du capitalisme et avant même celui-ci. La littérature existante (Desroches ; Demoustier ; Duverger ;…) peut ainsi être actualisée ou réévaluée dans le cadre de cette session.

 

Le dialogue du droit et de l’économie est une autre entrée heuristique. Le droit (législation, réglementations, contrats, règles statutaires…) dit quelque chose de l’identité de « l’ESS » mais ne l’épuise pas : de quel pouvoir transformationnel de l’ESS peut-il alors traiter ? Comment se différencie l’ESS dans un contexte où le droit des sociétés évolue (en France, avec la loi Pacte, 2019), où se développe une juridicisation de la RSE (loi sur le Devoir de Vigilance 2017 et projet de directive UE sur ce thème, réglementations sur le reporting extra-financier, CSRD, etc.) mais aussi une « jungle des labels » privés (entreprises « à impact », B-corporation, « entreprise engagée », ISR, etc.) et du social business ? Bref, que propose l’ESS pour « démocratiser l’entreprise, démarchandiser le travail, dépolluer la planète » [Ferreras et alii : 2020] ?

 

En outre, s’interroger sur le potentiel transformateur de l’ESS, c’est s’interroger sur son identité même tout en comprenant sa diversité [Richez-Battesti : 2023]. Il s’agit là de deux problématiques centrales des sciences sociales : la réification sociale [Vandenberghe : 1998] et l’internormativité, c’est-à-dire l’autonomisation d’espaces et de champs sociaux, jusqu’au point où certains sont perçus comme des entités, à qui sont attribués des caractéristiques identitaires « par nature », une « essence » ; mais cette autonomisation est relative, c’est-à-dire que les régularités caractéristiques d’une telle entité et la structure de son mode de régulation qui engendre cette matérialisation sont des co-constructions en rapport avec d’autres acteurs et d’autres entités — que l’on parle de l’« ESS », de « familles » de l’ESS (coopératives, mutuelles, etc.), de la coopérative X, de l’association Y… En économie, c’est notamment ce que propose une problématique mésoéconomique [Lamarche et al : 2021] de la régulation [Chanteau : 2023] qui ne se définit pas comme une « couche » entre micro et macro : comment caractériser les différents modes de régulation qui différencient telle ou telle entité (en l’occurrence de type « ESS ») et comment s’articulent-ils à des systèmes ou des ordres sociaux (capitalisme ; nations ; religions ; familles ; etc.) qui les traversent, les dépassent, les soutiennent ou les dominent, bref qui les affectent ? Quelles ressources économiques, politiques ou culturelles mobilisent les acteurs de l’ESS pour produire leurs dynamiques de différenciation et d’intégration, avec quelles visées de transformation sociale ?

 

Il importe donc de s’intéresser tout autant aux conditions matérielles (financières, techniques, humaines, écologiques) qu’aux conditions idéelles (imaginaires politiques, religieux, de distinction sociale…) de la reproduction d’une entité de l’ESS, selon leurs statuts (coop, association, mutuelles) et secteurs activité, ainsi qu’à l’effectivité de leur mode de gouvernance (règles sur la répartition des statuts et des pouvoirs pouvant conduire à une coopération satisfaisante [Ostrom : 2010]. Symétriquement, les contributions peuvent proposer une analyse comparative d’organisations de l’ESS avec des sociétés à but lucratif, des sociétés à capitaux publics.

 

Cette proposition de session ouverte s’inspire d’un séminaire collectif « Théorie de la régulation et coopératives » (voir le dossier publié dans la Revue de la régulation [Lamarche & Richez-Battesti (dir), 2023]). Cependant, elle est ouverte au-delà de la seule théorie de la régulation : celle-ci inscrit d’ailleurs sa théorie de l’entreprise dans une approche institutionnaliste [Chanteau & Postel, 2023] pour saisir à la fois le poids des structures et l’agentivité des acteurs.

 

Enfin, l’ambition théorique vise une compréhension utile au chercheur en économie politique institutionnaliste ainsi qu’aux acteurs et actrices de l’ESS soucieux de réflexivité sur leurs pratiques.

 

 

 

Quelques références bibliographiques :

 

Chanteau J.-P. [2023], « Qu’est-ce que la régulation ? », in Boyer R., Chanteau J.-P., Labrousse A. & Lamarche T. (dir), Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs, Paris : Dunod, pp.504-513.

 

Chanteau J.-P. & Postel N. [2023], « Conceptualiser l’entreprise dans la théorie de la régulation », in Boyer R., Chanteau J.-P., Labrousse A. & Lamarche T. (dir), Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs, Paris : Dunod, pp.504-513.

 

Demoustier D. & Colletis G. [2012] « L’économie sociale et solidaire face à la crise : simple résistance ou participation au changement ? », RECMA, 325(3), pp.21-35.

 

Eynaud P. & Laville J.-L. [2018] « Joining the commons with social and solidarity economy research. Towards the renewal of critical thinking and emancipation », Revista de Economia Solidária, n° 11.

 

Ferreras I., Battilana J. & Méda D. (dir) [2020] Le Manifeste Travail, Paris : Seuil.

 

Lamarche T. & Richez-Battesti N. (dir) [2023] « Approches mésoéconomiques des coopératives », Revue de la régulation, 2023(1), 23.

 

Lamarche T. et al. [2021] « Saisir les processus méso : une approche régulationniste », Économie Appliquée, n°1 à paraître.

 

OIT [2016], Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous, Genève : OIT.

 

Petrella F. & Richez-Battesti N. [2014] « Social Entrepreneur, Social Entrepreneurship, Social entreprise: semantics and controversies », Journal of Innovation Economics and Management, n°14, pp. 143-156.

 

Pecqueur B. & Itçaina X. [2012], « Économie sociale et solidaire et territoire : un couple allant de soi », RECMA, 325, pp. 48-64.

 

Poteete A., Janssen M. & Ostrom E. [2010], Working Together, Princeton: Princeton University Press.

 

Richez-Battesti N. [2023] « Penser la diversité des entreprises de l’ESS », in Boyer R., Chanteau J.-P., Labrousse A. & Lamarche T. (dir), Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs, Paris : Dunod, pp. 514-520.

 

Richez-Battesti N. & Vallade D. [2012] « Innovation sociale, normalisation et régulation », Innovations, 2012(2), n°38, pp. 5-15.

 

Vandenberghe F. [1998] Une Histoire critique de la sociologie allemande. Aliénation et réification, Paris : La Découverte.

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