Sessions thématiques ouvertes > Repenser les Modèles et Pratiques Organisationnels à l’Ère de la Post-Croissance

Contact pour soumission de communication


Fanny Dethier : fanny.dethier@ichec.be

Martin François : mart.francois@gmail.com

Simon Meert : simon.meert@uliege.be

Isabelle Robert : isabelle.robert@univ-lille.fr

 

Cadrage et objectif de la session

Face à l’escalade des crises écologiques telles que le changement climatique ou la perte de biodiversité, et les crises sociales, telles que l’accroissement des inégalités et la fragilité de notre santé mentale, les principes fondamentaux de notre système socio-économique doivent faire l’objet d’une remise en question profonde. Pour relever les défis de la soutenabilité, l’une des approches consiste à s’appuyer sur des solutions majoritairement technologiques et sur le principe d’efficacité dans l’utilisation des ressources naturelles et la gestion leurs impacts. Mais cette approche de la croissance verte est de plus en plus critiquée par les chercheurs qui démontrent que le découplage nécessaire (c’est-à-dire absolu, permanent, mondial, suffisamment important et rapide) des activités économiques par rapport aux pressions environnementales engendrées a peu de chances de se produire en raison du potentiel limité du recyclage ou de phénomènes tels que l’effet de rebond.

Par conséquent, à côté de l’approche réformiste des partisans de la croissance verte, d’autres chercheurs juxtaposent une perspective transformatrice qui reconnaît le système capitaliste, fondé sur l’expansion perpétuelle de l’économie, comme le principal responsable de ces bouleversements environnementaux. De surcroît, ces chercheurs mettent également en évidence que ce même système capitaliste est également responsable des défis sociaux fondamentaux de notre civilisation (Jackson & Victor, 2021; Piketty, 2014; Zeira, 2022). Ainsi, un nombre croissant de chercheurs remettent en question la poursuite effrénée de la croissance économique, la désignant comme le catalyseur de la dégradation écologique et sociale de notre société (Foster et al., 2011; Jackson, 2009), mettant en péril l’habitabilité de nombreuses régions de la planète. Plusieurs paradigmes ont émergé dans la littérature académique pour repenser les modèles économiques et sociaux centrés sur la croissance, notamment la décroissance (Demaria et al., 2013; Hickel, 2021; Kallis, 2018; Schneider et al., 2010), l’économie stationnaire (Daly, 1992), l’économie du donut (Raworth, 2017), l’a-croissance (van den Bergh, 2011) et la sobriété (Lorek & Fuchs, 2013; Princen, 2005). Ces paradigmes, qui ont en commun de chercher à redéfinir le projet sociétal au-delà de la poursuite de la croissance économique (Cassiers et al., 2018), forment collectivement ce que nous appelons le mouvement de la post-croissance. Les partisans de ce mouvement soutiennent que nos défis environnementaux et sociaux actuels découlent du principe capitaliste selon lequel "plus, c’est mieux" et plaident en faveur d’un système socio-économique qui limiterait l’importance de l'économie dans les pays riches, et replacerait le bien-être soutenable au centre de nos préoccupations.

Bien qu’il existe une littérature abondante explorant les solutions macroéconomiques proposées par le mouvement de la post-croissance (par exemple, Cosme et al., 2017; Fitzpatrick et al., 2022), il subsiste une lacune importante dans la compréhension du rôle des organisations et des entreprises dans ce nouveau paradigme. Le paradigme post-croissance exige des approches transformatrices et imaginatives de l’implication des entreprises, allant au-delà du récit conventionnel "business-as-usual" (Dey & Mason, 2018; Nesterova & Robra, 2022). Pourtant, l’expression concrète des modèles et pratiques organisationnels conformes à une ère post- croissance reste vague et sous-développée. Jusqu’à présent, en dépit du développement de modes de production moins néfastes d'un point de vue environnemental (se rattachant à l’économie circulaire ou à l’économie de la fonctionnalité), ces efforts ont été insuffisants pour proposer des solutions en adéquation avec le concept de soutenabilité forte, inhérent au courant de la post-croissance et n’interrogent pas la question fondamentale du moins. En effet, ces modes de production, leurs outils de gestion de la durabilité ainsi que leurs systèmes de valeurs restent ancrés dans l’idéologie de la croissance, n’abordant pas les changements systémiques plus profonds nécessaires à un véritable respect de l’environnement et du bien-être individuel et collectif à long terme (par exemple, Demastus & Landrum, 2024; Landrum, 2018; Roman et al., 2023; Zink & Geyer, 2017). Ces modes de production s’alignent fréquemment sur les concepts de soutenabilité faible dans le cadre du paradigme de la croissance verte, sans interroger leur intégration dans des systèmes sociétaux et écologiques plus larges (Niessen & Bocken, 2021), leurs processus  de création de valeur (Froese et al.,  2023), leur modèle d’entreprise (Bocken & Short, 2016; Hankammer et al., 2021; Khmara & Kronenberg, 2018; Tunn et al., 2019) et leur impact global sur la consommation (Bocken et al., 2020; Freudenreich & Schaltegger, 2020). Ces lacunes soulignent la nécessité de repenser radicalement les modèles d’entreprise et leurs pratiques, pour qu'elles permettent la construction d'une société post-croissance et s’alignent avec ses principes, plutôt que de renforcer une stratégie de croissance verte qui éloigne nos sociétés de la soutenabilité forte.

Notre session thématique vise à opérationnaliser le paradigme de la post-croissance dans le contexte organisationnel. Cette session fournira ainsi une plateforme pour un examen critique et une redéfinition des modèles d’organisation et d’entreprise, et leurs pratiques, dans l’alignement de la perspective de post-croissance. Ainsi, nous visons à favoriser une compréhension plus profonde des pratiques entrepreneuriales fortement soutenables qui sont réellement associées à l’intégrité écologique et à la prospérité sociale de notre planète. Cette session thématique cherche des contributions qui se concentrent sur les implications concrètes pour le terrain afin d’obtenir des idées sur la façon de mettre en œuvre des pratiques organisationnelles dans une ère de post-croissance. Nous invitons les chercheurs à présenter des travaux qui abordent, entre autres, les questions suivantes :

  • Comment le concept d’ « organisation post-croissance » peut-il être appliqué dans le paradigme socio-économique actuel ? Quelles stratégies les entreprises peuvent-elles utiliser pour s’éloigner de l’obsession de la croissance et promouvoir des valeurs au- delà du gain monétaire (Cyron & Zoellick, 2018; Gebauer, 2018; Richters & Siemoneit, 2019) ? Lorsque la valeur est détachée de son sens monétaire, comment peut-elle être redéfinie ?
  • Quelles sont les caractéristiques des organisations qui sont idéalement positionnées pour s’inscrire dans le paradigme de la post-croissance ? Que pouvons-nous apprendre des entreprises déjà (en partie ou totalement) alignées sur cette perspective, telles que les entreprises sociales et les organisations à but non lucratif (Johanisova et al., 2013), les entreprises prospères sans croissance (Liesen et al., 2015), les entreprises not-for-profit (Hinton, 2020) et les entreprises qui choisissent d’être "great instead of big" (Burlingham, 2016) ? Que pouvons-nous apprendre sur leurs valeurs, leurs pratiques, leurs défis, leurs solutions et leurs écosystèmes ? Quel autre modèle d’entreprise pourrait être compatible avec les principes de la post-croissance ? Quels seraient plus précisément les pratiques et dispositifs de gestion à inventer et à explorer dans une organisation post-croissance ?
  • Quelles contradictions et tensions les principes de post-croissance introduisent-ils au sein de l’entreprise ? Comment les modèles d’entreprise peuvent-ils encourager la sobriété à la fois dans la production et la consommation ? Comment les entrepriseséquilibrent-elles la sobriété et la dépendance à la consommation ? Quels sont les défis, les paradoxes et les obstacles auxquels sont confrontés les entrepreneurs et les parties prenantes des entreprises engagées sur la voie d’une croissance limitée ?
  • Plus généralement, quels sont les concepts théoriques qui pourraient articuler les principes de la post-croissance au niveau de l’organisation (Banerjee et al., 2021) ? Comment les modèles théoriques organisationnels peuvent-ils faciliter et contribuer à la transition globale de notre système socio-économique vers une ère de post-croissance (Nesterova, 2021; Niessen & Bocken, 2021) ?

Nous sommes particulièrement intéressés par les contributions qui vont au-delà de la réflexion théorique, qui présentent une prise empirique et qui offrent des perspectives concrètes exploitables par le terrain, en lui permettant de mieux comprendre comment ces concepts peuvent être mis en œuvre efficacement dans le contexte des pratiques organisationnelles. Cette session vise à favoriser un riche échange d’idées et de stratégies pratiques pour naviguer dans le paysage complexe de l’ère de la post-croissance.

 

Bibliographie

 

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Bocken, N., Morales, L. S., & Lehner, M. (2020). Sufficiency business strategies in the food industry—The case of Oatly. Sustainability, 12(3), 824.

Bocken, N., & Short, S. W. (2016). Towards a sufficiency-driven business model: Experiences and opportunities. Environmental Innovation and Societal Transitions, 18, 41–61.

Burlingham, B. (2016). Small Giants: Companies that choose to be great instead of big, 10th- anniversary edition. Penguin.

Cassiers, I., Maréchal, K., & Dominique, M. (2018). Vers une société post-croissance: Intégrer les défis écologiques, économiques et sociaux. Editions de l’Aube.

Cosme, I., Santos, R., & O’Neill, D. W. (2017). Assessing the degrowth discourse: A review and analysis of academic degrowth policy proposals. Journal of Cleaner Production, 149, 321–334.

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