Sessions thématiques ouvertes > Les tiers-lieux pour expérimenter la soutenabilité forte. Des questions d’institutionnalisation et de pérennité

Contact pour soumission de communication

Corinne Martin : corinne.martin@univ-lorraine.fr

Maud Pelissier : maud.pelissier@univ-tln.fr

 

Cadrage et objectif de la session

 

A travers cette thématique du Congrès 2024 du RIODD « Imaginer, expérimenter et pérenniser la soutenabilité forte. Quelles institutions en Europe et au-delà ? », nous proposons d’explorer, au cours de cette session ouverte, une réflexion sur l’expérimentation de la soutenabilité forte dans/avec les tiers- lieux et la problématique de l’institutionnalisation de ces tiers-lieux, en lien avec la question cruciale de leur pérennité. Ces questionnements seront posés à deux niveaux.

D’une part, dans le prolongement du Congrès 2023 du RIODD « Changer ou s’effondrer ? », nous proposons de considérer les tiers-lieux comme des « organisations » directement concernées par les problématiques de la durabilité/soutenabilité : en effet, lors de ce Congrès 2023, les tiers-lieux ont pu être envisagés comme des espaces d’expérimentation des transitions socio-environnementales sur les territoires (Martin, Pélissier, 2023), créant de la richesse orientée vers une économie plus durable, empreinte de plus de justice sociale, pour inventer le monde de demain face aux défis climatiques, inventer une autre vision de notre relation au monde (Descola, 2019). Ces réflexions pourront être poursuivies, pour montrer combien les tiers-lieux sont traversés par l’ESS (économie sociale et solidaire, Moulévrier, 2022), par des questions liées au partage (Lallement, 2020), à la solidarité (Burret, 2015, 2018 ; Pignot, Saez, 2018) en lien avec une réflexion sur les communs (Coriat, 2021 ; Cornu et al., 2021 ; Dechamp, Pélissier, 2018 ; Pélissier, 2021 ; Martin, Pereira, 2021) et la gouvernance démocratique de ces communs (Ostrom, 2010).

D’autre part, à un deuxième niveau, la question fondamentale qui pourra être interrogée dans cette session concerne l’institutionnalisation même de ces tiers-lieux : si ces espaces sont bien souvent nés de mouvements collectifs, venant des citoyens (en mode bottom-up), qu’en est-il de leur pérennité ? Quel soutien peut-il être apporté à ces collectifs, afin que les expérimentations pour la transition écologique, expérimentations menées à un niveau micro territorial, puissent changer d’échelle et envisager une certaine extension/généralisation ? C’est ce que revendique l’association nationale des tiers-lieux, dans une « Lettre ouverte au gouvernement et aux élu.e.s de la République » (octobre 2023) pour favoriser la continuité du développement des tiers-lieux, estimés à 3500 sur le territoire (Lévy-Waitz, 2021) : « La transition écologique et sociale ne se fera pas sans les innovations et les coopérations issues de la société civile. Les Tiers-Lieux sont un modèle d’avenir pour ancrer ces changements de paradigmes dans nos territoires ». Ainsi, que va-t-il advenir des 300 « Fabriques de territoires » labellisées par l’Etat (en lien avec France Tiers-Lieux), entre 2020 et 2021 ? Dotées de 50 000 euros pour une durée de 3 ans, il leur incombe de trouver, au terme de ces 3 ans, l’équilibre économique et financier pour sortir de cette dépendance aux subventions publiques. Même chose pour les « Manufactures de proximité ». Si la question de la pérennité de leurs actions demeure entière, comment alors envisager alors le changement d’échelle tant souhaité ?

Dans la même lignée, la question de la dépendance aux collectivités locales, via les subventions reçues, mérite d’être posée. Certes, ces collectivités peuvent favoriser l’émergence de collectifs dynamiques sur le territoire, qui œuvrent aussi dans le champ culturel, en mettant notamment à leur disposition du foncier (friches industrielles, etc.), mais qu’adviendra-t-il en cas de renversement de l’équipe municipale lors d’élections ? Ces tiers-lieux (y compris les tiers-lieux culturels) seraient-ils condamnés à n’être que des espaces éphémères (Besson, 2017) et n’auraient-ils servi qu’à favoriser la gentrification de certains quartiers ? (Desgouttes, 2019). Dans d’autres situations, quand ils parviennent à perdurer, ces tiers-lieux seraient-ils condamnés à devenir de simples relais, remplissant des-quasi missions de délégation de service public, visant à combler les défaillances des services de l’Etat ?

Aussi, la question même de cette institutionnalisation par la labellisation, impulsée par l’Etat, pourra être explorée dans toutes ses dimensions. Certains y craignent en effet l’enfermement dans un modèle normatif, restrictif, contraire à l’esprit même du « faire tiers-lieux » (au sens des makers, Lallement, 2015, 2020), où singularité et diversité sont de mise, afin de laisser place à la créativité et à l’innovation. Pour mieux comprendre cette dialectique de l’institutionnalisation, la pensée riche et originale de Cornélius Castoriadis (1999 [1975]) pourra être mobilisée : quelle place laissée à l’imaginaire social, cette capacité créatrice du social ? Comment articuler la société instituante – qui pense et fait advenir ce qui n’existe pas encore –, avec l’institué, le déjà-là ? Quelles tensions voire quelles luttes dynamiques se font jour ? À cet égard, le processus de constitution du GIP France Tiers-lieux pourrait constituer un cas d’étude fort riche, qui incarne ces tensions dynamiques, révélant les fragilités inhérentes au mouvement d’institutionnalisation des tiers-lieux en France.

Ainsi, la place de la société civile prend toute son importance et la question de l’empowerment des usagers constitue une piste à explorer : comment les citoyens des quartiers sont-ils intégrés dans ces collectifs, avec quel degré d’ouverture et d’inclusion, comment peuvent-ils constituer des acteurs du changement vers les transitions écologiques, afin de réenchanter le monde. Quelle puissance d’agir peuvent-ils constituer ?

Des réflexions théoriques sont attendues, des études de cas particuliers, en France ou à l’étranger, seront tout aussi bienvenues ; ces dernières ne manqueront pas de mentionner des données contextuelles, socio-économiques, politiques, liées au territoire, etc.

 

Références

Besson R., 2017, Rôle et limites des tiers-lieux dans la fabrique des villes contemporaines, Territoire en mouvement. Revue de géographie et aménagement, URL : http://journals.openedition.org/tem/4184 ; DOI : 10.4000/tem.4184

Burret A., 2015, Tiers-lieux… Et plus si affinités, Paris, FYP Éditions, 2015.

Burret A., 2018, Refaire le monde en tiers-lieu. Revue L’observatoire, 2, vol. 52, p. 50-52. Castoriadis C., 1999 [1975], L’institution imaginaire de la société, Paris, Éd. du Seuil.

Coriat B., 2021, Le bien commun, le climat et le marché. Réponse à Jean Tirole, Paris, Les Liens qui libèrent. Cornu M., Orsi F., Rochfeld J., (dir.), 2021, Dictionnaire des biens communs, Paris, PUF (2017).

Dechamp G. et Pélissier M., 2018, Les communs de connaissance dans les fablabs: mythe ou réalité?,

Revue Française de gestion, vol. 45, n° 79, p. 97-112.

Desgouttes J., 2019, Les communs en friche, Métropoliques, https://www.metropolitiques.eu/Les- communs-en-friches.html

Descola, 2019, Une écologie des relations, Paris, CNRS Éd.

Lallement M., & al., 2020, Les makers contre le coronavirus : quelles leçons pour demain ? AOC, juin. Accès : https://aoc.media/analyse/2020/06/14/les-makers-contre-le-coronavirus-quelles-lecons-pour- demain/

Lallement M., 2015, L’âge du faire. Hacking, travail, anarchie, Paris, Seuil.

Lévy-Waitz Pierre., 2021, Nos territoires en action. Dans les tiers-lieux, se fabrique notre avenir. Rapport 2021. Accès : https://francetierslieux.fr/rapport-tiers-lieux-2021/

 

Martin C., Pélissier M., 2023, Les tiers-lieux, espaces d’expérimentation des transitions. Session du 18e Congrès du RIODD, Lille. https://riodd2023.sciencesconf.org/

 

Martin C., Pereira C., 2021, « Les tiers-lieux, espaces d’expérimentation du commun ? », dans « L’essor des biens communs. Une analyse pluridisciplinaire des communs », Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé (dir.),                          Territoires                contemporains,                n° 15,                    Accès :                      http://tristan.u- bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.

 

Moulévrier P., 2022, Économie solidaire, pp. 960-976, in D. Fassin (dir.), La société qui vient, Paris, Seuil.

 

Ostrom E., 2010 [1990], La gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, Éd. De Boeck.

 

Pélissier M., 2021, Les communs culturels dans l’écosystème numérique, Éd. Iste.

 

Pignot L. et Saez J.-P., 2018, présentation, Dossier « tiers-lieux : un modèle à suivre? », revue l’Observatoire, vol 2, n°52, pp. 7-8.

 

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